Le jour de mon départ pour la France, il pleuvait des cordes, il faisait froid. Lan rejoindrait en voiture l’aéroport de San Francisco, situé à dix kilomètres de chez elle. Nous avions rendez-vous au comptoir d’Air France, une dernière fois, pour nous dire « au revoir ».
Je faisais la queue pour enregistrer les bagages quand un passager près de moi me dit que j’avais un appel. Je vis Lan en manteau violet, elle me faisait signe. L’agent de sécurité se montra compréhensif et la laissa entrer dans la zone réservée aux passagers pour qu’on puisse bavarder avant mon embarquement. Elle n’avait pas changé, elle avait toujours son doux sourire, ses regards expressifs. Sa voix était légère comme le vent, elle avait conservé, après tant d’années, un charme irrésistible. Le vol décollait à quinze heures ; à midi trente, les enregistrements terminés, nous allâmes dans un café. Elle sortit de son sac une petite assiette de riz, d’une belle blancheur, un morceau de grillade de porc recouvrait le riz parfumé, dessus une fine couche jaune d’omelette, puis quelques morceaux de viande rôtie finement coupés. Il y avait aussi une petite boîte de nước mắm mélangés à des piments rouges. Ces mets soigneusement préparés nous ouvrirent l’appétit. Lan n’avait pas oublié le dessert, une belle gourmandise, faite de taro mauve et d’une couche blanche de lait de coco. Très touchée par ses attentions, je lui dis : « Tu es toujours la même personne même si tu vis dans un pays étranger, tu n’as pas changé ». Lan sourit légèrement : « N’en parle pas ! D’abord il faut que tu te remplisses l’estomac car dans l’avion, tu devras patienter avant d’avoir ton plateau déjeuner. Ma mère m’a toujours dit que rien ne pouvait remplacer le riz ! »
Lan était une amie du lycée Gia Long. Les souvenirs affluaient. Nos maisons étaient proches. Elle habitait rue Trần Quang Khải et moi, rue Nguyễn Hữu Cảnh. On accédait à sa maison à deux étages par un solide portail en métal. Ses parents l’avaient gâtée me disais-je, elle avait une grande chambre confortable climatisée dont le balcon donnait sur la rue, un téléphone. Dans les années soixante, c’était rare d’avoir le téléphone chez soi ! Les jours de congés, j’allais chez elle, nous restions dans sa chambre bavarder ou réviser. Chaque fois que je venais, Ngân, sa petite sœur, scolarisée dans une école française, me suppliait de l’aider à faire ses devoirs. Elle était plutôt sage et bonne élève. Son travail terminé, elle nous laissait tranquilles. En 1967, la veille de mon mariage, je demandai la permission à ma mère de passer une dernière nuit chez Lan, nous parlâmes toute la nuit. Puis chacune suivit sa voie, Lan poursuivit ses études à Đà Lạt dans une grande école de commerce international. Grâce à ses diplômes, quand elle arriva aux Etats Unis, elle trouva facilement un bon poste en lien avec sa formation.
Nous nous étions perdues de vue de 1967 à 2003. Après trente temps de séparation, par hasard, grâce aux boîtes mail, nous pûmes reprendre le contact, sans cela nous ne nous serions jamais retrouvées. Lors de la naissance de mon petit- fils en 2003, j’allai aux Etats-Unis, je pus alors revoir cette amie ! Elle arriva, radieuse, chez ma fille, un pot d’orchidée à la main. Elle me dit : « Sais-tu pourquoi j’ai choisi cette couleur ? Notre ancien lycée s’appelait « Ao Tim » qui signifie « violette. » C’était un cadeau d’une grande délicatesse. Je l’emportai précieusement dans l’avion pour Paris.
A chaque fois que je vois une orchidée violette, je pense à Lan, une amie de jeunesse. La distance et les années n’ont pas effacé cette amitié remplie des souvenirs de notre jeunesse. Lycéennes, nous avions une âme pure comme une feuille toute blanche, un cœur insouciant. L’Amitié semée en chaque personne devient un germe toujours prêt à grandir. Lan fut la première amie de notre groupe du lycée Gia Long que je retrouvai après des dizaines d’années d’exil. Lan est l’image d’une vie paisible où chacune de nous avait des rêves plein la tête.
Co-Traductrices : Fanny Celsiana et Diệu Tiên