Fin de printemps à Paris
C’était le jeudi 20 mai 2021. Depuis la veille, Paris reprenait vie, l’on croisait déjà quelques touristes. Le 58 nous déposarue Racine, il n’y avait point vécu, mais le théâtre de l’Odéon était tout proche. La rue Racine abritait depuis des lustres des éditeurs et des boutiques d’objets précieux. Une vitrineprésentait de magnifiques couteaux à manche de corne. Plus loin une créatrice de bijoux invitait à découvrir un ouvrageraffiné. Nous passâmes devant le Bouillon Racine, sans terrasse il était condamné à attendre la mi-juin pour accueillir les clients dans un beau décor art Nouveau. Le Bouillon fut un temps la cantine du personnel de la Sorbonne toute proche.Nous rejoignîmes le 5ème arrondissement. Devant nous se dressaient les vestiges du Paris gallo-romain, des thermes, auxquels s’adosse le musée Cluny, ancien hôtel des moines bénédictins de l’abbaye de Cluny, une imposante bâtisse de style gothique flamboyant qui rappelle l’architecture des châteaux du Val de Loire. L’extension en fonte d’aluminium était récente, d’autres travaux avaient cours. Ce musée du Moyen Age renferme des trésors dont les six tapisseries de la Dame à la licorne datées des années 1500.J’attendaisimpatiemment la réouverture des lieux. J’aime plonger ainsi des siècles en arrière, revoir vitraux et enluminures. J’aimerelire des Chansons de Geste qui disent les exploits des chevaliers, les lais de Marie de France qui célèbrent l’amour courtois, j’aime aller voir en vallée de Seine l’abbaye Saint-Georges de Boscherville et les ruines de Jumièges auxquelles la pierre blanche va si bien. Alors que nous nous éloignionsune image me revint, lors de la visite du château de Chantilly,il y avait deux ou trois ans, je découvris avec bonheur les enluminures des Très Riches Heures du Duc de Berry, autre œuvre remarquable du Moyen Age. J’en conservais le souvenir d’une récompense bien méritée après un trajet éprouvant. Les reproductions d’enluminures dans les manuels scolaires d’histoire faisaient rêver. Nous pénétrâmes dans le jardin médiéval de Cluny, une végétation touffue attirerait les promeneurs dès les premières chaleurs. Déjà certains venaient y lire leur journal. C’était un cocon apaisant. Rue des écoles, face à la Sorbonne, il fallut être attentif pour dénicher entre les branches touffues, la statue de Montaigne, un bronze, célèbre pour son pied, porte-bonheur des étudiants en période d’examen. Dans ce quartier intellectuel, dit quartier latin, les librairies abondaient, souvent je me demandais quelle perle rare je cherchais dans ces lieux que je fréquentais avec une grande constance, poussée par les regrets de ne pas être plus savante. L’Ecole polytechnique sur la droite était magistrale.La rue comptait une dizaine de magasins « au campeur », des clients cherchaient à dénicher le bon sac à dos, plus loin, ils comparaient les chaussures de marche, c’était bon signe, l’on préparait ses prochaines vacances, l’on avait tant répété que la bonne condition physique aidait à affronter le virus. L’on imaginait déjà les sentiers de randonnées pris d’assaut et on se rappelait les expériences difficiles de l’été 2020 où la ruée des marcheurs sur les sentiers littoraux en Côte de Granit Rose rendait éprouvante toute sortie. L’on vendait de la nature désormais.
L’Institut du Monde arabe proposait une exposition sur les Divas, nous la verrions une autre fois. Dalida d’origine égyptienne était à l’affiche. Elle attirerait des visiteurs. J’avais aimé une promenade à Montmartre sur les pas de la chanteuse.Avec Thuytien, nous déambulerions sur la butte, c’était vraiment à faire. L’on s’y rendrait en métro.
Thuytien voulut faire de menus achats à la supérette Bü rue Jussieu, l’on y trouvait le nécessaire pour étudiants, alimentation, vaisselle et décoration, papeterie, jeux de patience et de stratégie, valises, petite maroquinerie indispensable en voyage. L’importance du rayon jardinage était dans l’air du temps, la nature semblait désormais surpasser la culture, peut-être se vendait-elle mieux, mais c’était une illusion, en boîtes et en pots.
La Grande Mosquée de Paris était toute proche. Nous avions déjà beaucoup marché. La terrasse du restaurant aux plateaux de cuivre et aux chaises cannées accueillait les clients ravis. Il restait des places assez isolées, figuiers et oliviers faisaient de l’ombre et leur vert s’accordait bien avec le bleu des fresques murales. C’était l’endroit idéal pour un thé à la menthe, des pâtisseries orientales, les loukoums du lieu à la fraise et à la pistache étaient délicieux, on n’avait pas la sensation de manger un dessert trop sucré. L’on ne résistait pas au charme du jardin mauresque aux parterres soigneusement entretenus etirrigués, un plaqueminier y poussait, de grands pots en terre cuite ocre renforçaient l’harmonie. Ce patio reposant et rafraîchissant nous évoquait Grenade. Quand on a la chance d’embarquer à Saint-Malo pour une journée à Jersey ou à Guernesey, l’on ressent ce même sentiment de plénitude liée au dépaysement.
Au Jardin des plantes, l’exposition consacrée aux joyaux Van Cleef attirait le public, dans la file d’attente, seulement des femmes, elles ne se lassent jamais de la beauté et celle des pierres précieuses ne vieillit pas.
Les arènes de Lutèce nous ramenèrent au temps du divertissement. Les vestiges sont bien conservés. Dans cet enclos, l’on se prend à rêver que l’on est à Rome au temps des gladiateurs, ou plus proche de nous, aux Chorégies d’Orange.Si l’on ne force pas la grille, on passe à côté d’un dépaysement dans le passé inattendu.
Nous rattrapâmes le bus 59 aux Gobelins jusque place de Catalogne et filâmes sur la gauche, rue du Château. La Cabane venait d’ouvrir, les gérants avaient misé sur une décoration toute en bois, Thuytien dit que nous viendrions goûter leur cuisine asiatique. J’achetai un bretzel à La petite Alsacienne, c’étaient mes préférés du quartier.
Début avril, nous avions déjà flâné dans le 5ème arrondissement.Parties de Port Royal, nous parcourûmes la rue d’Ulm et la place du Panthéon, grandes Ecoles, Normale, Henri IV, Louis Le Grand rayonnaient vers le Panthéon, lieu de mémoire, lieu d’hommage à ceux qui avaient fait la France. La Bibliothèque Sainte-Geneviève riche de milliers de livres anciens était un joyau du quartier latin où l’étude, le savoir, l’érudition régnaient depuis des siècles, c’était la vocation de la montagne Sainte-Geneviève. L’église Saint-Etienne-du -Mont abrite un très beau cloître, élégant, sobre. Comme les étudiants, nous filâmes vers la rue Mouffetard, une rue plus légère, dédiée au commerce et à la pause. Des enseignes y sont tout simplement magnifiques. La rue compte les meilleurs fromagers de Paris.Des jonquilles fleurissaient délicatement la place de la Contrescarpe. Face à l’entrée de l’église Saint-Médard de jeunes musiciens avaient improvisé un concert, cela faisait du bien, les passants généreux encourageaient la jeunesse auxrevenus d’appoint rognés. Le cimetière Saint-Médard qui dans les années 1730 devint le théâtre de scènes d’hystérie dut être fermé, les restes humains furent entreposés aux catacombes place Denfert Rochereau, un petit square le remplace. Le bus 59 rejoignit en quelques minutes le 14ème.
Mieux valait voir dès la réouverture les expositions, l’on savait que les visiteurs reviendraient à Paris et l’on ne goûtait guère aux files d’attente sur les trottoirs, la BNF était un lieu que nous aimions bien même si le quartier n’était guère aguichant , des tours avaient remplacé les friches industrielles dans les années 1990, on n’y retrouvait pas un esprit de village comme dans beaucoup de quartiers de Paris, il nous fallut résister aux rafales qui s’engouffraient sur la dalle de la Bibliothèque .Nous eûmes le bonheur de parcourir deux grandes expositions , l’une consacrée à l’invention du surréalisme dévoilait le manuscrit de Nadja acquis récemment par la BNF lors de la dispersion de la collection de Pierre Bergé. Il y avait même une reconstitution du cheval et des costumes dessinés par Picasso pour le ballet Parade. Puis notre regard plongea vers le puits de lumière, cette forêt centrale reconstituée ouverte au public une à deux fois par an a à la fois l’allure d’un patio entouré de béton, et d’un cloître. Ses grands arbres d’essences variées impressionnent, peut-être parce qu’ils sont si inattendus, peut-être cette bibliothèque est-elle une métaphore d’une certaine philosophie de la vie, oùnature et culture sont complémentaires, il est vrai que l’ancien Président aimait à se ressourcer en forêt des Landes. C’est de Normandie où ils avaient grandi que plus d’une centaine de pins furent transplantés. Chênes et bouleaux y sont à l’aise. Fougères et jacinthes s’étalaient en sous-bois. Une exposition présentait des photos de la Master Collection Henri Cartier-Bresson disparu en 2004 qui restait en 2021, comme Capa, un photographe mythique pour notre génération, nous aimions les reporters, c’étaient des aventuriers qui prenaient des risques pour témoigner, les photos étaient une fenêtre sur l’ailleurs, nous appréciâmes comme dans le jardin de la Grande Mosquée une parenthèse exotique dans un Paris encore marqué par la pandémie.
Nous montâmes à bord du 62, le retour fut rapide.
Fanny Celsiana