La Mémorisation
L’image, l’odeur, la musique, le son…sont des déclencheurs qui nous évoquent des souvenirs où se mêlent la tristesse et la joie, tout un passé enfoui.Chaque fois que j’avais l’occasion de revenir à l’aéroport Tân Sơn Nhất, c'était le même spectacle, les arrivants poussaient le chariot plein de bagages, les partants étaient à l’intérieur. Ceux qui restaient faisaient des gestes d’adieu, les larmes aux yeux. Ceux qui partaient, hésitaient devant « la porte de séparation » voulaient regarder quelques minutes de plus les êtres chers, certains s'accrochaient aux dernières minutes, sortaient encore une fois, leslarmes aux yeux, les mains se serraient, les baisers étaient furtifs, les paroles étranglées.
La mère de Kiên, une mère courageuse, ne pleurait jamais ; dans son enfance, Kiên ne l'a jamais vu pleurer. Mais un jour Kiên et sa belle-famille quittèrent le pays avec les deux enfants, Thắng, Lợi, qui étaient encore très jeunes. Kien suivait son mari pour aller vers un monde inconnu. Quand elle fut à l’intérieur avec ses deux enfants, Kiên se retourna pour regarder sa mère une dernière fois, c’était la première fois qu’elle la vit essuyer des larmes. Kiên ressortit pour prendre sa mère dans ses bras.
Chaque fois que Kien avait l’occasion de revenir au pays, elle n’oubliait jamais les paroles, les larmes, et l’image d’une mère courageuse, disparue depuis, une brave mère dont les larmes coulaient aussi silencieusement que sa triste vie !
Ce jour-là, les larmes coulaient lentement mais elle souriait avec effort : « Vas-y, travaille bien et un jour tu reviendras me voir. Je reste ici avec les petits- enfants, ne t’inquiète pas pour moi. » Quand elle était malade elle ne se plaignait jamais et elle rassurait Kien: « Ce n’est rien, je vais très bien !»
Petit à petit, la vie de Kien à l’étranger se stabilisait, chaque année, elle s’arrangeait pour aller voir sa mère. Lors de sa dernière visite, quand sa mère se tournait et se retournait dans son lit, Kiên venait vers elle : « Tu ne dors pas maman ? ». La mère ouvrait les yeux pour regarder sa fille en souriant, mais d'un sourire forcé et triste : « oui, je ne dors pas très bien, tu vas retourner là-bas ? Quand reviendras-tu me voir ? Je pense bien à toi ». La mère était une personne discrète, réservée, mais cette fois-ci, elle parlait avec amour à Kiên qui en était très émue. Kiên étreignit sa mère : : « Mère, je reviendrai te voir dès que je le pourrai. » Cette promesse n‘était seulement qu’une promesse en l'air parce que Kiên avait des devoirs envers sa famille et ses revenus qui ne lui permettaient de faire des voyages continuels. Quand elle entendit sa réponse, sa mère la regarda en souriant : « Tu ne me laisses pas attendre trop longtemps, mon enfant ? Tu me manques beaucoup. Pars-tu demain ? Bon, je vais me coucher » Après, elle essaya de fermer les yeux mais elle se retournait sans cesse dans son lit. « As-tu mal maman ? » « Ben oui, j’ai mal, mais je ne prends pas d’anti-douleur parce que je ne veux pas m’y habituer, c’est malheureux si je n’en ai plus ". Kiên rechercha l'antalgique et le somnifère. Sa mère retrouva le sommeil doucement. Kiên la regardait dormir paisiblement, et se demandait si les médicaments de confort pour sa mère, étaient achetés avec l’argentque sa sœur et elle envoyaient tous les mois à la nièce qui s’occupait de leur maman. C’était une question avec un point d’interrogation énorme, mais elles se sentaient impuissantes et ne pouvaient poserla question, parce qu'elles étaient loin de leur mère, qu’elles avaient leurs obligations familiales, et que par égoïsme, elles ne pensaient qu’à elles-mêmes, à leur mari, leurs enfants ainsi, n’avaient-elles pas le droit de faire des reproches à quiconque, sauf à elles-mêmes.
Dans la vieillesse, une mère a besoin de beaucoup plus d’amour, des mots doux et l’argent n’ont pas le pouvoir de remplacer l’Amour !
Mais, le jour du départ pour un pays lointain arriva. Cette fois-ci, la maman était faible, elle ne pouvait pas accompagner sa fille à l'aéroport, Kiên ne pourrait voir sa mère une dernière fois, ni lui dire au revoir, ni lui serrer ses mains, ni lui adresser un regard plein d’amour. « Bon, pars, prends soin de toi, mon enfant. Travaille bien pour revenir me voir. Ici, je vis bien, je ne manque de rien, vous m’envoyez de l’argent, des médicaments, je suis heureuse, tout le monde est gentil avec moi, ne t’en fais pas. ». Ces paroles accompagnaient ses tristes regards larmoyants. » Kiên en était affectée et chaque fois qu’elle regardait la photo de sa mère, elle ne pouvait retenir ses larmes en murmurant : « Mère, pardonne-moi ! »
La vérité était cachée, des choses injustes n’étaient pas exposées à la lumière. Par Amour, pour protéger des êtres chers, on laissait certaines vérités brutales enterrées. Kiên le savait par intuition mais elle ne voulait pas approfondir, elle se mentait à elle-même pour se rassurer et elle se disait que l’envoi de l’argent permettait à sa mère de recevoir des soins.
Un jour, au téléphone, la voix de sa mère était très faible mais comme toujours elle rassura Kien: « Je vais bien chérie, ne t’inquiète pas ». Kien avait le pressentiment qu’elle devrait rentrer pour voir sa mère. Deux jours seulement avant son départ, samère décéda, un matin. La cérémonie était prévue dans un bref délai parce que les gens là-bas prétendaient que la loi ne permettait pas de garder un corps plus de trois jours. Kiên dut changer de billet, changer de jour de départ, de visa. Un ami l’aida à sortir de l’aéroport rapidement sans passer par la douane. Le taxi roulait à toute vitesse, heureusement, à l’aube, la circulation était moins dense, Kiên arriva juste au moment où les pompes funèbres préparaient le départ du cercueil. Kiên courut de toutes ses forces pour voir le cercueil en bois qui était encore là, avec la photo de sa mère, au regard sévère caché derrière ses lunettes. Sur cette photo, sa mère ne riait pas. Kiên eut juste le temps d’effleurer le cercueil ; immobile, Kiên parla en silence à sa mère : « Maman, je suis rentrée mais mon retour était trop tardif, je n'ai pas pu te voir et teprendre une dernière fois dans mes bras , te dire que je t’aime très fort. Je regrette de ne pas prolonger mon séjour pour rester encore avec toi. La dernière fois c’étaient les derniers jours avec toi. Tu avais toujours caché tes craintes et tu essayais de me rassurer »
Il ne lui restait que les larmes qui coulaient à flot, remplaçant ses excuses, ses regrets d’abandonner sa mère. Cette mère avait lutté pour protéger ses enfants quand ils étaient maltraités, les avait cajolés quand ils étaient malades, où étaient ses enfants quand leur mère avait besoin d’aide ? Les enfants avaient choisi une vie agréable en fuyant leurs responsabilités. CESregrets poursuivaient Kien comme probablement beaucoup d’autres enfants dans ce monde qui n’avaient pas pu rester auprès de leur mère pour s’occuper d’elle jusqu’au dernier moment !
De l'Au-delà, la mère regardait sa fille pleurer, elle l’aimait mais elle ne pouvait pas communiquer avec elle pour le lui expliquer : « Maman quitte ce monde pour aller vers un lieu où il n’y a plus de douleurs physiques, il n’existe plus d’injustice, on n’est plus auprès de gens sans cœur qui ne pensent qu’à leur propre intérêt. Ma chérie, je suis là, je vois tes sentiments à travers les chaudes larmes coulant sur tes joues. Ne sois pas triste, où que je sois, je suis toujours près de toi pour te protéger. Maintenant je me sens légère, mon âme est libérée. Je n’ai plus le souci de faire plaisir aux gens, je ne souffre plus physiquement, je ne me fâche contre personne, je suis loin de toi physiquement mais je suis toujours proche de toi en ton âme.Prie, vis honnêtement, tu seras protégée. Je suis toujours auprès de toi pour te protéger. Tu me retrouveras dans tes beaux rêves. Nous ne sommes pas séparées. Ne pleure plus mon enfant."
Soudain, Kiên sentit un courant d’air caresser ses cheveux, elle regarda la photo de sa mère, son regard sévère laissa place à un sourire doux comme toujours, Elle lui avait pardonné, elle l’aimait et comprenait sa situation. Kiên allait vivre, comme sa mère, une vie honnête, consacrée aux autres. Kiên continuait de marcher derrière le cercueil, pouraccompagner sa mère jusqu’à sa dernière demeure. Kiên trouva une place dans l’église de sorte que les cendres de sa mère soient auprès de celles de Ngoại. Depuis la perte de sa mère, Kiên sentait toujours sa présence auprès d’elle. L’Amour transcende l’espace, les frontières pour que les gens qui s’aiment puissent de retrouver !
Diễm Đào
Paris 14.2.2016