Le Bánh Chưng
Bà Lan jeta un coup d’œil sur le tas de feuilles« giông » de couleur verdoyante. Ce vert lui faisait penser à la verdure des champs de riz qui s’étalaient au long de la route vers la maison de maman, ellerevoyait l’image de trois personnes, une mère et deux enfants à mini-bicyclette, rendant visite à maman et grand-mère chaque week-end. Les feuilles étaient bien lavées et rangées mais la nervure centrale assez dure et épaisse rendait leur entassement plutôt difficile.
Devant elle, un panier de riz gluant d’un blanc immaculé. Le riz avait trempé dans l’eau toute la nuit, ensuite il avait été égoutté. A côté, des haricots mungo, de couleur jaune dorée, bouillis et écrasés,formaient une pâte qui, mélangée avec les oignons frits, dégageait une odeur appétissante. Cette farce était divisée en douze parts de forme ronde. Les morceaux de poitrine de porc bien rangés dans une assiette, avaient mariné dans plusieurs épices.
Elle n’avait plus qu’à couper la nervure centrale des feuilles pour les transformer en une petite boîte carrée et pouvoir enfin emballer les Bánh Chưng. Soudain, elle ne trouva plus le courage d'achever la tâche qui autrefois, pour elle, était une joie : jadis elle ne vivait pas seule comme maintenant. Il y avait bien longtemps, la préparation de Bánh Chưng était un moment chaleureux où elle était entourée de ses enfants et ses amies.
- Bác ! Je fais la boîte, es-tu d’accord ? Disait Thy, l’amie de sa fille venue minauder à côté d’elle.
- D’accord ! Mais tu dois faire très attention sinon tu vas déchirer la feuille !
- Oui Je suis adroite et je vais faire très attention !
- Bác ! Tu ne l’écoutes pas, elle travaille sans soin. Moi je suis plus habile. Je vais faire les boîtes pour toi ajoutait Linh aussitôt.
- Maman, mes amies, elles sont toutes des menteuses, elles veulent faire les boîtes parce qu’elles ne veulent pas se salir ses mains. Hương regardait sa mère en souriant.
- Ce n’est pas important, chacune essaie d’en faire une, si vous ratez je vais les refaire.
- Tu nous gâtes trop ! dit Hải qui la regardait tendrement.
- Maman tu es toujours comme ça. Mes amies rêvent d’avoir une mère comme toi.
- Est-ce sûr ? Quand je suis fâchée, voyant mon visage mécontent, vous vous enfuyez toutes. Si vous êtes sages, je n’ai pas besoin de me fâcher.
- Tu as raison, Bác Je suis tout à fait de ton avis répondait Yến promptement.
- Yến, elle veut te flatter. Tout à l’heure, récompense-la avec un bánh chưng .
- Ça suffit. On commence à travailler parce qu’on a encore six heures de cuisson. Quand on aura fini, je vous en offrirai un chacune à déguster chez vous.
- Nous toutes, nous approuvons.
Elle croyait tous ces souvenirs très lointains et déjà tombés dans l’oubli. Mais, elle sentait les rires de ces enfants toujours présents en elle. Le temps est une chose sans frontière. Parfois, il semble très proche, puis aussitôt très loin de nous.
Tous ces ingrédients qui s’étalaient devant elle, étaient exactement les mêmes que ceux qu'elle préparait jadis, ses enfants encore tout petits. Dans la solitude, elle avait l’impression que ces images étaient infiniment lointaines même si elles remontaient seulement à quelques décennies.
Le temps sur scène passe très vite, le rideau baissé, quelques coups tapés au sol, et les mots « trente ans après », au lever de rideau, les comédiens se transforment en vieillards en un clin d’œil. Mais sur la « scène de la vie » nous n’avons pas le maquillage pour nous faire vieillir. Pourtant, les années s'accumulent. Même si chaque jour, quand on se regarde dans le miroir, on voit peu de changement, la vieillesse vient quand même, inexorablement.
Elle ne savait même plus depuis quand l’idée de faire les Bánh Chưng le jour du Tết ne lui était pas venue.La vie pour elle à présent devenait insignifiante. Regardant les ingrédients étalés devant elle, elle se demandait pour qui et pourquoi elle allait faire ces Bánh Chưng. Chacune de ses enfants vivait si loin. Elle se trouvait toute seule dans un pays étranger. Toute sa famille s’éparpillait !
Faire les Bánh Chưng pour le Tết n’avait plus de signification comme dans le passé, mais elle ne comprenait pas pourquoi elle voulait encore, ce jour-là faire cette tâche qu’elle pensait avoir oubliée. Voulait-elle retrouver une image du passé ? Se rappeler un beau souvenir lointain, nous aide parfois à ne pas nous laisser aller complètement, ou à retrouver la jeunesse qui s'est déjà glissée loin de nous. L’ennui et la paresse lui firent perdre courage. Elle ne voulait plus passer de longues heures à faire ces Bánh Chưng carrés, symboles de la terre natale comme dans la légende « Bánh Dầy bánh Chưng ».
La paresse et le découragement étaient certes une faiblesse partagée par la majorité des êtres humains, amplifiée par l’âge. Devant elle, sur le mur, étaient accrochés les cadres des photos de ses enfants et ses merveilleux petits- enfants près desquels les circonstances de la vie ne lui permettaient pas de vivre.
Ba Lan représentait le passé, ses enfants et petits-enfants l’avenir, mais l’avenir devait se construire sur les fondations du passé, n’est-ce pas ?
- Dring…dring…dring… !
La sonnerie du téléphone la ramena à la réalité. Elle prit le combiné :
- Allo ! C’est moi ! Que fais-tu en ce moment maman ?
C’était la voix affectueuse et familière de sa fille au loin. Sa fille et elle étaient séparées par des continents mais le système téléphonique raccourcit cette distance.
- Je suis en train de préparer les Bánh Chưng.
- Pour qui en fais-tu ? Est-ce que Thy veut manger tes Bánh Chưng ?
- Ce n’est pas tout à fait cela. D’un seul coup je pense à vous, et ça me donne envie d’en faire.
- Oh, mon Dieu ! Pourquoi te fatiguer ? Tu peux en commander à quelqu‘un, les acheter à proximité ou dans le quartier chinois. Ne travaille pas trop sinon tu tomberas malade, maman. Tu me promets maman ?
- Oui, je te promets.
- Tu dis ça mais quand tu as envie de faire quelque chose, il n’y a que « Dieu qui peut t’en empêcher » !
Cette courte conversation avec sa fille l’aida àretrouver du courage. Dans leur vieillesse, les parents ont vraiment besoin de l’amour et des mots gentils des enfants.
Le vert des feuilles n’était plus une couleur inanimée, mais une couleur verte de sa patrie, d’une jeunesse, des souvenirs de l’époque où elle et ses filles vivaient ensemble. Elle se mit au travail, essuya ces feuilles (sveltes) avec un torchon, d'un geste empreint de tendresse et d'amour, puis en coupa le milieu ainsi que les deux bouts. Elle plia la feuille en trois parties égales pour faire une boîte, ses mains redevenaient habiles et rapides comme en ces jours lointains.
- Dring…dring…dring… !
- Allo !
- Qui est à l’appareil ?
- C’est Thy, Bác. Tu es en train de faire les Bánh Chưng ? Puis-je me permettre de venir t’aider, et en même temps apprendre à les faire ? Je me souviens que quand nous étions dans notre pays, tous les ans, j’allais chez toi pour t’aider à les préparer.
- Oh cela me fera plaisir. Tu viens, je t’attendrai !
- Je suis déjà devant la porte.
Bà Lan se précipita vers l’entrée. Elle savait que ses filles souvent pensaient à elle. Elles demandaient à leurs amies, de temps en temps de passer voir leur mère, de lui parler pour que les enfants et petits-enfants ne lui manquent pas autant.
- Aujourd’hui, tu ne travailles pas ? Comment peux-tu être ici à cette heure-ci ?
- J’ai quelques jours de congés, si tu le permets, je reste pour faire les Bánh Chưng et je passerai une nuit avec toi pour surveiller leur cuisson comme quand j’étais petite.
- Oh, c’est vraiment comme on dit : (« Une natte quand on a sommeil est un trésor ») (En français il y a une phrase équivalente « Trouver chaussure à bon pied ») car je me sentais tellement triste seule à côté d’un tas de riz gluant. Chaque fois que je fais des Bánh Chưng, je me souviens de vous toutes qui veniez chaque année m’aider à les emballer.
- Bác, tu dis ça parce que tu nous aimes beaucoup. Autrefois, nous étions là en réalité pour t’embêter plutôt que pour t’aider. Mais grâce à ces leçons de cuisine avec toi, maintenant, je suis une bonne ménagère.
La présence de Thy lui faisait revire les jours heureux du passé. Ensemble, elles emballèrent les Bánh Chưng à grande vitesse, tout en parlant et riant. L’emballage terminé, ces gâteaux furent bien rangés dans une grande casserole pour les faire cuire. L’odeur délicieuse du riz gluant cuit mélangée au parfum des feuille giông, donnait à sa petite maison une atmosphère chaleureuse.
Les Bánh Chưng, de forme carrée, simples et modestes, étaient faits des ingrédients typiques et populaires de notre pays natal : il y avait la blancheur du riz gluant, imprégné de la couleur verte de la feuille giông, la couleur jaune des haricots mungo entourant le petit morceau de viande grasse. Malgré sa simplicité, ce gâteau était un mélange harmonieux, particulier, de couleurs et de parfums. Chaque fois qu’on le dégustait, on ne pouvait oublier la légende du Roi Hùng Vương(premier roi du Viet Nam), un règne qui nous avait laissé l’image des Bánh Chưng, représentant la fierté d’un peuple qui descendait « des Dragons et des Fées ». (Légende des origines du peuple Viet Nam)
Co-Traductrices :
Fanny Celsiana et Diệu Tiên