L’Histoire de ma Mère
Les souvenirs restent gravés dans notre cœur, des images et des objets nous transportent vers les êtresqui nous sont chers même s’ils ont quitté ce monde pour un autre monde dont nous ne savons pas s’ilexiste. Joie et tristesse s’entre mêlent dans les souvenirs. En vieillissant, nous nous surprenons souvent à penser au passé comme si nous voulionsrevivre, à travers quelques images, le temps lointain.
J’ai grandi entourée de l’amour et des soins de ma grand- mère et de ma mère, et les souvenirs de leur affection et de leurs sacrifices m’accompagnent. Combien de pages me faudrait-il pour les évoquertous ? J’ai toujours regretté de ne pas avoir eu l’occasion de leur témoigner mon affection et ma gratitude, de reconnaître mes erreurs aussi. Jeunes, nous n’avions pas conscience du sacrifice car ma mère était une femme qui se dévouait silencieusement, sans jamais se plaindre, ni faire partde ce qu’elle faisait pour nous.
Le cahier d’écriture :
Ma mère portait une belle tunique, légère, des sandales blanches ou noires à hauts talons. Les cheveux bouclés, elle était d’allure élégante dans ses tuniques aux manches plissées aux épaules, à la mode en 1952, 1953. Chaque matin, avant d’aller au lycée Nguyễn Thông (dansla province de Vĩnh Long), Mápréparait pour moi les pages d’écriture. Comme j’étais paresseuse, Má m’encourageait par une récompense, un billet « d’un đồng ». J’ai le vague souvenir, qu’en 1953, à Vĩnh Long, quand j’achetaisle riz gluant à « 5 cắc » on pouvait déchirer le billet de « un đồng » pour avoir la moitié de sa valeur.
Peut-être est-ce grâce à ce cahier dans lequel ma mère écrivait les lettres pour que je les retrace, que j’ai comme elle, une belle écriture.
Quand mon père quitta son pays natal, toute ma famille revint à la maison maternelle, rue Phan Thanh Giảng, une rue qui menait du pont de « Cầu Lộ » au marché Vĩnh Long. De là nous avions des autocars qui nous emmenaient aux régions proches ou à Saïgon.
Notre famille logeait dans la maison de mon arrière-grand-mère, une très grande maison, entourée d’un vaste terrain planté de nombreux arbres fruitiers : pêchers, longaniers, cây Chùm ruột (Phyllantusacidus), papayers…De plus, nous avions une tonnelle de bétels et des aréquiers parce que toute la famille, mon arrière- grand-mère, ma grand-mère et les deux grand- tantes en consommaient.
Les souvenirs de ma famille sont comme les morceaux d’un puzzle que j’essaie de rassembler pour reconstituer les traces de cette enfance tout en ne sachant pas si mes souvenirs sont exacts. Quoiqu’il en soit, je voudrais les partager avec mes frères et sœur, mes enfants et mes petits-enfants. Auront-ilsl’occasion de lire un jour ces mots ?
Evoquons soixante ans après, à travers les observations personnelles d’un enfant alors âgé de six ans, l’histoire du collège Nguyễn Thông où ma mère enseignait le français et le Collège privé Long H ồ qui se situait sur le terrain de ma famille maternelle. Malheureusement ma grand-mère et ma mère ne sont plus là pour confirmer l’exactitude des propos.
Autrefois, dans la Sud, il n’y avait que trois collèges, Pétrus Ký à Saïgon, Nguyễn Đình Chiểu à Mỹ Tho, Phan thanh Giảng à Cần Thơ.
Vĩnh Long était une ville culturelle mais sanscollège. Après le certificat d’études, les enfants des familles aisées continuaient leur scolarité à Cần Thoou à Mỹ Tho tandis que les enfants des familles pauvres arrêtaient l’école.
Comme le gouvernement colonial français ne s’intéressait pas à l’éducation dans cette province, il fallut l’action concertée des prêtres Nguyễn NgọcQuang, Trần văn Thiện, et de l’Inspecteur NguyễnVăn Kính pour présenter par l’entremise du Colonel de Castries une motion au gouvernement français dans laquelle ils demandaient d’une part quel’Ecole primaire occupée par les Français soit rendue aux Vietnamiens et d’autre part que des travauxsoient faits dans la maison des anciens pour y établir le Collège.
Vers 1948, la maison des personnes âgées fut remise en état. En 1949, l’Ecole primaire Vĩnh Long vit le jour avec une classe de 6ème. Jusqu’en 1954, l’école Nguyễn Thông eut en plus des primaires les classesde 6ème à la 3ème, puis elle changea de statut et devintle « Collège Nguyễn Thông » installé jusqu’en 1956 dans les locaux rénovés de l’école primaire française mise à disposition par le Colonel De Castries. Il se trouvait en face des Service d’administration des travaux publics et du fleuve Long Hồ.
Le Collège Nguyễn Thông était un établissement mi-privé mi- public. En 1950, le deuxième Collège privé catholique s’appelait Nguyễn Trường Tộ. Le troisième était Lam Sơn,le quatrième Long Hồ dontMonsieur Lê Minh Ký était le Directeur en 1953.
(Le document tongpuochiep-vinhlong. L’histoire des Collèges Vĩnh Long)
Ce Collège se trouvait sur le terrain de mon arrière-grand-mère. Je pense que cette école louait et le terrain et les locaux. Le bureau de Monsieur Lê vănKý occupait une pièce de notre grande maison. Les classes étaient sur le terrain, cachées derrière le longanier. Certaines donnaient sur la ruelle. Devant le bureau était fixée une grande et lourde clochette en cuivre, je me rappelle, qu’un employé Chú ba Lẹétait chargé de l’agiter pour sonner le début et la fin de la récréation. Mon frère aîné voulut un jour la faire sonner, il se hissa sur la pointe des pieds, tout d’un coup, elle lui tomba sur la tête, le sang coulait à flot, ma mère l’emmena à l’hôpital se trouvant près du marché.
Les moments de joie, de maladie, nous n’avions que la présence de notre grand-mère et de notre mère. Que pensaient d’elles mes frères et ma sœur ? Moi, je n’oublierai jamais leurs sacrifices, malgré les divergences d’opinions entre les enfants devenus adultes et les parents, ce n’est pas une raison pour oublier les soins qu’ils nous ont prodigués. J’ai toujours regretté de ne pas assumer mon devoir envers elles !
Je me souviens qu’il y avait beaucoup de photos de notre mère et ses enfants dans la cour du collège Nguyễn Thông, et devant une classe du Collège Long Hồ, se situant dans la ruelle de la maison de mon arrière-grand-mère.
Nous avons grandi dans cette maison avec, notre arrière-grand-mère, nos deux grandes tantes
Nous avions là une vie mais paisible et tranquille. Mes deux frères ont été inscrits dans une école française. Mon père « a donné l’ordre » que tous les enfants suivent l’éducation vietnamienne.
Notre famille déménagea à Saigon. Mes deux frères avaient des difficultés dans les dernières années d’école primaire avant de passer le concours pour rentrer dans le collège Pétrus Ký, moi et ma petite sœur avions préparé le concours d’entrée au collège Gia Long.
Chocolat en forme des pièces monnaie
Nous quatre étions devant le portail de la maisondonnant sur la rue Phan Thanh Giảng. Plusieurs autocars passaient devant nous, nous guettions maman. Les cars roulaient à vive allure, du pont de Câu Lộ directement au marché Vĩnh Long.
- Maman, Maman, Maman !
Quand nous voyions Má à la fenêtre, nous courions à toute vitesse vers le marché pour grimper sur le cyclo pousse et surtout nous étions contents quand nous avions des cadeaux assez chers !
Quand j’ai eu des enfants, j’ai clairement pris conscience que tout ce que ma mère a fait pour nous, c’étaient des sacrifices. Vivant loin, confrontée à des difficultés financières, je ne pensais qu’à moi, par pur égoïsme, je ne faisais concrètement rien pour la remercier, pour payer la dette de reconnaissance à ma mère ! C’est pour cela, que si on peut faire quelque chose même, même très peu pour la famille, il faut le faire tout de suite, si non, on le regrettera toute la vie !
Après six années en province, Má prépara le déménagement à Saigon. Au début, elle ne trouva pas de logement, quand elle travaillait, elle habitait chez ma tante, elle revenait nous voir chaque week end. Et chaque fois, nous avions de petits cadeaux. Le cadeau marquant était le sachet de chocolat en forme de pièces de monnaie en francs français. Même aujourd’hui, alors que nous avons le choix entre plein de chocolats aux formes différentes, ce sachet est toujours mon chocolat préféré !
Fromage « Con Bò cười »
Combien de pages faut-il pour parler de l’histoire du fromage ? Depuis très longtemps parler de fromage c’est tout de suite penser à la France, pays renommé mondialement pour ses bons fromages. On cite pêle-mêle la Vache qui rit, La Maroilles, le Brie, le Neuchâtel, la Camembert, le Roquefort, le Bleu de Sassenage…
En 1962, le Président français, Charles de Gaulle a déclaré dans un décret que la France a 246 d’espèce de fromage (site. Androuet.com)
Je ne sais pas à quelle date « La vache qui rit » estarrivé au Vietnam mais quand j’avais six ans (1954), j’ai déjà goûté ce fromage qui était cher mais ma mère avait fait des efforts pour que nous puissions le déguster. Selon Wikipédia ce fromage étaitcommercialisé en Asie dès 1929 dans sa boîte en carton avec l’image de Vache qui rit en couleur rouge avec les boucles d’oreille en forme de boîte de fromage. En réalité, nous n’avions pas d’occasion de voir la boîte entière.
Je me rappelle que chaque dimanche, alors que nous habitions à Tân Định, ma mère qui n’avait pas beaucoup de temps s’arrangeait pour sortir avec nous, nous allions au cinéma Olympic pour voir les films comiques dans lesquels jouaient Jerry Lewis et Dean Martin. Ce cinéma se trouvait non loin de « Ngã sáuSaigon », un quartier dans lequel j’emménagerais plus tard. Chaque fois que je passais devant ce cinéma, les images d’autrefois m’envahissaient, nous quatre et notre mère à vélo, ma petite sœur derrière le vélo Solex, j’étais derrière mon frère aîné, le « troisième », était seul sur son vélo. Nous partions de Tân Định, longions la rue Hai Bà Trưng, traversions plusieurs carrefours, Má souvent attendaitses deux fils. Puis Má s’arrêtait au stand d’une dame qui vendait des sandwiches au carrefour de Hai BàTrưng et Trần Quang Khải, Má achetait deux baguettes croustillantes et quatre morceaux de fromage la Vache qui Rit en forme rectangulaire qu’elle tartinait sur les baguettes. Nous mangions en marchant ; l’odeur du fromage et du pain de mon enfance reste imprégnée dans ma mémoire, bien qu’en France nous ayons un grand choix. De temps en temps, je me prépare un sandwich commeautrefois, et chaque fois, je me rappelle le sacrifice de ma mère car dans mon pays le fromage était un produit de luxe, ce n’était pas un plat quotidien !
La seiche séchée grillée.
- Les enfants, vous vous habillez, aujourd’hui nous n’allons pas au cinéma mais nous allons jouer au golf au port de Saigon.
- Est-ce que c’est vraie maman ? Ça coûte cher, maman ?
- J’ai de l’argent, ne vous inquiétez pas, je viens de gagner au jeu « Tontine ». Je veux bien que vous profitiez de toutes les nouvelles choses !
Nous étions très heureux, embrassâmes notre mère et nous nous changeâmes. Nous ne manquions de rien. Quand nous nous sommes mariés, nous avons compris que notre mère nous donnait plus qu’elle en avait les moyens, elle voulait que nous soyons comme nos amis. Elle faisait tout discrètement pour nous soyons heureux, sans s’épancher !
A notre arrivée, les seiches grillées dégageaient une odeur délicieuse. Les braises chaudes et rouges crépitaient. Les seiches plates aux longs bras étaient posées sur une grille. Nous accourûmes vers maman :
- Est-ce qu’on peut manger les seiches maman ?
- Oui ! une par personne.
Le vendeur était un vieux chinois. Malgré ses maigres mains un peu déformées, il était encore rapide !
Il tournait et retournait sans arrêt ces seiches, de l’autre main, il éventait continuellement les braises pour qu’elles rougissent. Les seiches grillées dégageaient une odeur indescriptible. Le vendeur les passait dans un pressoir et elles devenaient très minces. Il les posait sur un papier souillé, mais en dépit de ce manque d’hygiène, personne n’était malade. Il ajoutait un peu de sauce de piment et un peu sauce de soja. Nous les dégustions en gémissant légèrement et nous en gardons toujours le souvenir !
Maman achetait les billets pour le mini-golf. Ce jeu nous demandait de la concentration pour pousser les petites balles vers les trous. En réalité, je n’aimais pas cette occupation mais je devais y aller juste pour déguster des seiches grillées.
La Gymnastique
Un jour, je retrouvai un vieux livre, un livre déjà jauni aux feuilles fragiles et minces que je feuilletai. Des dessins simples de femmes en maillots de bain noirs expliquaient comment entretenir son corps. A mes quatorze ans, comme mon corps avait changé de forme, maman me donna ce livre :
- Ce livre nous enseigne comment entretenir un beau corps. Tu es grande, maintenant chaque jour tu feras ces mouvements pendant trente minutes pour avoir un beau corps. Une femme doit avoir un beau visage et un beau corps !
Maman me montra quelques mouvements, je l’imitais, faisais des exercices pour avoir les seins fermes et une taille fine.
A mes seize ans, maman ne donna un rouge à lèvres, un fond de teint, et un parfum, Intimate. Elle m’apprit le maquillage et je pouvais le faire les jours de Tet,les fêtes ou quand j’étais invitée à un mariage.
Je ne peux pas trouver ce parfum-là en France, d’autres parfums me plaisent mais Intimate me faisait penser à ma mère.
Ma mère me guidait dans plusieurs domaines mais rares sont les mères qui conseillent à leurs enfants comment avoir un beau corps. Ma mère était une femme progressiste qui m’a beaucoup influencée et à mon tour, j’ai donné une éducation assez libre à mes enfants.
Je n’ai pas oublié les sacrifices de ma mère, « la vache qui rit », le chocolat en forme de francs français, l’odeur de pain chaud mélangé avec le fromage, celle des seiches grillées. Combien de mères se sacrifient pour leurs enfants sans reconnaissance de leur part ? Ma mère a tout fait pournous mais elle n’attendait pas de remerciement, elle évitait de nous créer des soucis, elle gardait le sourire pour nous rassurer, elle nous répondait souvent « Je vais bien, ne te fais pas de soucis pour moi, je ne manque de rien ». Ma mère était une femme courageuse, elle ne se plaignait jamais.
Traduction :
Fanny Celsiana et Thuy Tien
Les souvenirs restent gravés dans notre cœur, des images et des objets nous transportent vers les êtresqui nous sont chers même s’ils ont quitté ce monde pour un autre monde dont nous ne savons pas s’ilexiste. Joie et tristesse s’entre mêlent dans les souvenirs. En vieillissant, nous nous surprenons souvent à penser au passé comme si nous voulionsrevivre, à travers quelques images, le temps lointain.
J’ai grandi entourée de l’amour et des soins de ma grand- mère et de ma mère, et les souvenirs de leur affection et de leurs sacrifices m’accompagnent. Combien de pages me faudrait-il pour les évoquertous ? J’ai toujours regretté de ne pas avoir eu l’occasion de leur témoigner mon affection et ma gratitude, de reconnaître mes erreurs aussi. Jeunes, nous n’avions pas conscience du sacrifice car ma mère était une femme qui se dévouait silencieusement, sans jamais se plaindre, ni faire partde ce qu’elle faisait pour nous.
Le cahier d’écriture :
Ma mère portait une belle tunique, légère, des sandales blanches ou noires à hauts talons. Les cheveux bouclés, elle était d’allure élégante dans ses tuniques aux manches plissées aux épaules, à la mode en 1952, 1953. Chaque matin, avant d’aller au lycée Nguyễn Thông (dansla province de Vĩnh Long), Mápréparait pour moi les pages d’écriture. Comme j’étais paresseuse, Má m’encourageait par une récompense, un billet « d’un đồng ». J’ai le vague souvenir, qu’en 1953, à Vĩnh Long, quand j’achetaisle riz gluant à « 5 cắc » on pouvait déchirer le billet de « un đồng » pour avoir la moitié de sa valeur.
Peut-être est-ce grâce à ce cahier dans lequel ma mère écrivait les lettres pour que je les retrace, que j’ai comme elle, une belle écriture.
Quand mon père quitta son pays natal, toute ma famille revint à la maison maternelle, rue Phan Thanh Giảng, une rue qui menait du pont de « Cầu Lộ » au marché Vĩnh Long. De là nous avions des autocars qui nous emmenaient aux régions proches ou à Saïgon.
Notre famille logeait dans la maison de mon arrière-grand-mère, une très grande maison, entourée d’un vaste terrain planté de nombreux arbres fruitiers : pêchers, longaniers, cây Chùm ruột (Phyllantusacidus), papayers…De plus, nous avions une tonnelle de bétels et des aréquiers parce que toute la famille, mon arrière- grand-mère, ma grand-mère et les deux grand- tantes en consommaient.
Les souvenirs de ma famille sont comme les morceaux d’un puzzle que j’essaie de rassembler pour reconstituer les traces de cette enfance tout en ne sachant pas si mes souvenirs sont exacts. Quoiqu’il en soit, je voudrais les partager avec mes frères et sœur, mes enfants et mes petits-enfants. Auront-ilsl’occasion de lire un jour ces mots ?
Evoquons soixante ans après, à travers les observations personnelles d’un enfant alors âgé de six ans, l’histoire du collège Nguyễn Thông où ma mère enseignait le français et le Collège privé Long H ồ qui se situait sur le terrain de ma famille maternelle. Malheureusement ma grand-mère et ma mère ne sont plus là pour confirmer l’exactitude des propos.
Autrefois, dans la Sud, il n’y avait que trois collèges, Pétrus Ký à Saïgon, Nguyễn Đình Chiểu à Mỹ Tho, Phan thanh Giảng à Cần Thơ.
Vĩnh Long était une ville culturelle mais sanscollège. Après le certificat d’études, les enfants des familles aisées continuaient leur scolarité à Cần Thoou à Mỹ Tho tandis que les enfants des familles pauvres arrêtaient l’école.
Comme le gouvernement colonial français ne s’intéressait pas à l’éducation dans cette province, il fallut l’action concertée des prêtres Nguyễn NgọcQuang, Trần văn Thiện, et de l’Inspecteur NguyễnVăn Kính pour présenter par l’entremise du Colonel de Castries une motion au gouvernement français dans laquelle ils demandaient d’une part quel’Ecole primaire occupée par les Français soit rendue aux Vietnamiens et d’autre part que des travauxsoient faits dans la maison des anciens pour y établir le Collège.
Vers 1948, la maison des personnes âgées fut remise en état. En 1949, l’Ecole primaire Vĩnh Long vit le jour avec une classe de 6ème. Jusqu’en 1954, l’école Nguyễn Thông eut en plus des primaires les classesde 6ème à la 3ème, puis elle changea de statut et devintle « Collège Nguyễn Thông » installé jusqu’en 1956 dans les locaux rénovés de l’école primaire française mise à disposition par le Colonel De Castries. Il se trouvait en face des Service d’administration des travaux publics et du fleuve Long Hồ.
Le Collège Nguyễn Thông était un établissement mi-privé mi- public. En 1950, le deuxième Collège privé catholique s’appelait Nguyễn Trường Tộ. Le troisième était Lam Sơn,le quatrième Long Hồ dontMonsieur Lê Minh Ký était le Directeur en 1953.
(Le document tongpuochiep-vinhlong. L’histoire des Collèges Vĩnh Long)
Ce Collège se trouvait sur le terrain de mon arrière-grand-mère. Je pense que cette école louait et le terrain et les locaux. Le bureau de Monsieur Lê vănKý occupait une pièce de notre grande maison. Les classes étaient sur le terrain, cachées derrière le longanier. Certaines donnaient sur la ruelle. Devant le bureau était fixée une grande et lourde clochette en cuivre, je me rappelle, qu’un employé Chú ba Lẹétait chargé de l’agiter pour sonner le début et la fin de la récréation. Mon frère aîné voulut un jour la faire sonner, il se hissa sur la pointe des pieds, tout d’un coup, elle lui tomba sur la tête, le sang coulait à flot, ma mère l’emmena à l’hôpital se trouvant près du marché.
Les moments de joie, de maladie, nous n’avions que la présence de notre grand-mère et de notre mère. Que pensaient d’elles mes frères et ma sœur ? Moi, je n’oublierai jamais leurs sacrifices, malgré les divergences d’opinions entre les enfants devenus adultes et les parents, ce n’est pas une raison pour oublier les soins qu’ils nous ont prodigués. J’ai toujours regretté de ne pas assumer mon devoir envers elles !
Je me souviens qu’il y avait beaucoup de photos de notre mère et ses enfants dans la cour du collège Nguyễn Thông, et devant une classe du Collège Long Hồ, se situant dans la ruelle de la maison de mon arrière-grand-mère.
Nous avons grandi dans cette maison avec, notre arrière-grand-mère, nos deux grandes tantes
Nous avions là une vie mais paisible et tranquille. Mes deux frères ont été inscrits dans une école française. Mon père « a donné l’ordre » que tous les enfants suivent l’éducation vietnamienne.
Notre famille déménagea à Saigon. Mes deux frères avaient des difficultés dans les dernières années d’école primaire avant de passer le concours pour rentrer dans le collège Pétrus Ký, moi et ma petite sœur avions préparé le concours d’entrée au collège Gia Long.
Chocolat en forme des pièces monnaie
Nous quatre étions devant le portail de la maisondonnant sur la rue Phan Thanh Giảng. Plusieurs autocars passaient devant nous, nous guettions maman. Les cars roulaient à vive allure, du pont de Câu Lộ directement au marché Vĩnh Long.
- Maman, Maman, Maman !
Quand nous voyions Má à la fenêtre, nous courions à toute vitesse vers le marché pour grimper sur le cyclo pousse et surtout nous étions contents quand nous avions des cadeaux assez chers !
Quand j’ai eu des enfants, j’ai clairement pris conscience que tout ce que ma mère a fait pour nous, c’étaient des sacrifices. Vivant loin, confrontée à des difficultés financières, je ne pensais qu’à moi, par pur égoïsme, je ne faisais concrètement rien pour la remercier, pour payer la dette de reconnaissance à ma mère ! C’est pour cela, que si on peut faire quelque chose même, même très peu pour la famille, il faut le faire tout de suite, si non, on le regrettera toute la vie !
Après six années en province, Má prépara le déménagement à Saigon. Au début, elle ne trouva pas de logement, quand elle travaillait, elle habitait chez ma tante, elle revenait nous voir chaque week end. Et chaque fois, nous avions de petits cadeaux. Le cadeau marquant était le sachet de chocolat en forme de pièces de monnaie en francs français. Même aujourd’hui, alors que nous avons le choix entre plein de chocolats aux formes différentes, ce sachet est toujours mon chocolat préféré !
Fromage « Con Bò cười »
Combien de pages faut-il pour parler de l’histoire du fromage ? Depuis très longtemps parler de fromage c’est tout de suite penser à la France, pays renommé mondialement pour ses bons fromages. On cite pêle-mêle la Vache qui rit, La Maroilles, le Brie, le Neuchâtel, la Camembert, le Roquefort, le Bleu de Sassenage…
En 1962, le Président français, Charles de Gaulle a déclaré dans un décret que la France a 246 d’espèce de fromage (site. Androuet.com)
Je ne sais pas à quelle date « La vache qui rit » estarrivé au Vietnam mais quand j’avais six ans (1954), j’ai déjà goûté ce fromage qui était cher mais ma mère avait fait des efforts pour que nous puissions le déguster. Selon Wikipédia ce fromage étaitcommercialisé en Asie dès 1929 dans sa boîte en carton avec l’image de Vache qui rit en couleur rouge avec les boucles d’oreille en forme de boîte de fromage. En réalité, nous n’avions pas d’occasion de voir la boîte entière.
Je me rappelle que chaque dimanche, alors que nous habitions à Tân Định, ma mère qui n’avait pas beaucoup de temps s’arrangeait pour sortir avec nous, nous allions au cinéma Olympic pour voir les films comiques dans lesquels jouaient Jerry Lewis et Dean Martin. Ce cinéma se trouvait non loin de « Ngã sáuSaigon », un quartier dans lequel j’emménagerais plus tard. Chaque fois que je passais devant ce cinéma, les images d’autrefois m’envahissaient, nous quatre et notre mère à vélo, ma petite sœur derrière le vélo Solex, j’étais derrière mon frère aîné, le « troisième », était seul sur son vélo. Nous partions de Tân Định, longions la rue Hai Bà Trưng, traversions plusieurs carrefours, Má souvent attendaitses deux fils. Puis Má s’arrêtait au stand d’une dame qui vendait des sandwiches au carrefour de Hai BàTrưng et Trần Quang Khải, Má achetait deux baguettes croustillantes et quatre morceaux de fromage la Vache qui Rit en forme rectangulaire qu’elle tartinait sur les baguettes. Nous mangions en marchant ; l’odeur du fromage et du pain de mon enfance reste imprégnée dans ma mémoire, bien qu’en France nous ayons un grand choix. De temps en temps, je me prépare un sandwich commeautrefois, et chaque fois, je me rappelle le sacrifice de ma mère car dans mon pays le fromage était un produit de luxe, ce n’était pas un plat quotidien !
La seiche séchée grillée.
- Les enfants, vous vous habillez, aujourd’hui nous n’allons pas au cinéma mais nous allons jouer au golf au port de Saigon.
- Est-ce que c’est vraie maman ? Ça coûte cher, maman ?
- J’ai de l’argent, ne vous inquiétez pas, je viens de gagner au jeu « Tontine ». Je veux bien que vous profitiez de toutes les nouvelles choses !
Nous étions très heureux, embrassâmes notre mère et nous nous changeâmes. Nous ne manquions de rien. Quand nous nous sommes mariés, nous avons compris que notre mère nous donnait plus qu’elle en avait les moyens, elle voulait que nous soyons comme nos amis. Elle faisait tout discrètement pour nous soyons heureux, sans s’épancher !
A notre arrivée, les seiches grillées dégageaient une odeur délicieuse. Les braises chaudes et rouges crépitaient. Les seiches plates aux longs bras étaient posées sur une grille. Nous accourûmes vers maman :
- Est-ce qu’on peut manger les seiches maman ?
- Oui ! une par personne.
Le vendeur était un vieux chinois. Malgré ses maigres mains un peu déformées, il était encore rapide !
Il tournait et retournait sans arrêt ces seiches, de l’autre main, il éventait continuellement les braises pour qu’elles rougissent. Les seiches grillées dégageaient une odeur indescriptible. Le vendeur les passait dans un pressoir et elles devenaient très minces. Il les posait sur un papier souillé, mais en dépit de ce manque d’hygiène, personne n’était malade. Il ajoutait un peu de sauce de piment et un peu sauce de soja. Nous les dégustions en gémissant légèrement et nous en gardons toujours le souvenir !
Maman achetait les billets pour le mini-golf. Ce jeu nous demandait de la concentration pour pousser les petites balles vers les trous. En réalité, je n’aimais pas cette occupation mais je devais y aller juste pour déguster des seiches grillées.
La Gymnastique
Un jour, je retrouvai un vieux livre, un livre déjà jauni aux feuilles fragiles et minces que je feuilletai. Des dessins simples de femmes en maillots de bain noirs expliquaient comment entretenir son corps. A mes quatorze ans, comme mon corps avait changé de forme, maman me donna ce livre :
- Ce livre nous enseigne comment entretenir un beau corps. Tu es grande, maintenant chaque jour tu feras ces mouvements pendant trente minutes pour avoir un beau corps. Une femme doit avoir un beau visage et un beau corps !
Maman me montra quelques mouvements, je l’imitais, faisais des exercices pour avoir les seins fermes et une taille fine.
A mes seize ans, maman ne donna un rouge à lèvres, un fond de teint, et un parfum, Intimate. Elle m’apprit le maquillage et je pouvais le faire les jours de Tet,les fêtes ou quand j’étais invitée à un mariage.
Je ne peux pas trouver ce parfum-là en France, d’autres parfums me plaisent mais Intimate me faisait penser à ma mère.
Ma mère me guidait dans plusieurs domaines mais rares sont les mères qui conseillent à leurs enfants comment avoir un beau corps. Ma mère était une femme progressiste qui m’a beaucoup influencée et à mon tour, j’ai donné une éducation assez libre à mes enfants.
Je n’ai pas oublié les sacrifices de ma mère, « la vache qui rit », le chocolat en forme de francs français, l’odeur de pain chaud mélangé avec le fromage, celle des seiches grillées. Combien de mères se sacrifient pour leurs enfants sans reconnaissance de leur part ? Ma mère a tout fait pournous mais elle n’attendait pas de remerciement, elle évitait de nous créer des soucis, elle gardait le sourire pour nous rassurer, elle nous répondait souvent « Je vais bien, ne te fais pas de soucis pour moi, je ne manque de rien ». Ma mère était une femme courageuse, elle ne se plaignait jamais.
Traduction :
Fanny Celsiana et Thuy Tien