Un printemps à Paris
1
C’était la période de Pâques, le temps était frais mais beau.L’on s’en contentait, le virus continuait à faire des ravages, les marcheurs étaient nombreux, l’on était bien heureux d’aller et venir dans les rues de Paris même si l’espoir de vivre normalement dès l’été s’amenuisait. Nous aimions partir tôt. Thuy Tien me rejoignit rue Raymond Losserand. La rue porte le nom d’un grand Résistant arrêté en 1942 puis fusillé, nous croisions l’Histoire à chaque fois que nous déambulions ainsidans les rues de Paris. La rue d’Alésia toute proche, grouillaitd’une population venue d’ailleurs, des femmes et des hommesremplis d’espérance quand ils avaient traversé les mers. Sous le pont de Vouillé, des marginaux dormaient dans des sacs de couchage, leurs affaires hétéroclites jonchaient le trottoir.Cette scène me mit mal à l’aise. Ainsi donc les pontsabritaient-ils des invisibles pris en tenailles entre des quartiers riants. Nous parcourûmes la Villa Santos-Dumont, une oasis de charme dans le 15éme arrondissement. Plus loin, le marché aux livres anciens était ouvert, j’en avais secrètement l’espoir mais n’en avais touché mot à Thuytien, collectionneurs et promeneurs se coudoyaient, les bouquinistes se réjouissaient de ventes qui allaient au-delà de leurs espérances. Cette découverte enthousiasma Thuytien, ce lieu plairait à sa fille, elle en était certaine. Des travaux importants défiguraient le parc Georges Brassens, nous peinâmes à y entrevoir le printemps. D’incessants chantiers très discutables meurtrissaient ainsi Paris, la vie du piéton y était hasardeuse. Nous fîmes la queue devant la boulangerie Poilâne, une boutique Belle Epoque raffinée, au bon pain de campagne d’antan. Etait-ce par réconfort ou par fantaisie ? Souvent, nous faisions ainsi de menus achats avant de nous séparer.
Ces balades nous revigoraient, aiguisaient notre sensibilité. Notre exploration nous livrait au détour d’une butte, des villages comme celui de la Butte-aux-Cailles aux très nombreux petits commerces, où l’on devinait des liens forts entre les habitants, des placettes avec leur fontaine publique, nous eûmes la surprise de rencontrer place Verlaine, un Parisien du 20ème venu à vélib remplir ses bouteilles d’eau, une eau non calcaire, une bonne eau, jaillie des profondeurs d’un puits artésien, nous précisa-t-il. Plus loin, c’était encore la campagne dans un lotissement des années 1920, où logeaient alors les ouvriers employés dans les fabriques proches, le nom fleuri donné à chaque rue ajoutait au charme et l’on allait de la rue des orchidées à celle des iris en passant par les glycines, c’était un ravissement simple. Dans cette partie du 13èmearrondissement à l’histoire très chargée, il faut marcher, c’est en arpentant que nous découvrîmes la Petite Alsace, un enclos tout à fait anachronique de maisons à colombages. A mesure que nous descendions la rue Vergniaud, la vie citadine reprenait, explosait sur le boulevard Auguste Blanqui où les larges voies de circulation automobile sont séparées par un vaste terre- plein central que surplombe la ligne 6 du métro,aérien, à cet endroit. Nous nous frayâmes un chemin entre les pistes cyclables et les voitures. C’était un fourmillement d’activités, une boutique éco-responsable au nom curieux « Pépins et trognons » venait d’ouvrir, l’on y trouvait de tout pour la cuisine, un peu plus haut, direction Place Denfert Rochereau, un fleuriste avait installé une vente de bouquets par automate. Le bus 64 raccordait avec bonheur le 13ème au 14ème.
Nous parcourions chaque fois une dizaine de kilomètres, souvent en dehors des sentiers battus. Nous aimions nous mesurer à la distance, le confinement avait cela de bon.Marcher c’est éprouver son courage, les mots de Sylvain Tesson m’accompagnaient. La marche nous rendait plus libres. Nous scrutions les façades, les plaques qui racontaient Paris des années folles dans le quartier de Montparnasse. Là, il y avait eu des guinguettes, ici avaient vécu Modigliani, Kiki, Man Ray, plus loin Aragon et Elsa Triolet. A l’écart et très proche à la fois des grandes rues, l’on dénichait les trésors des Villas. Que d’ateliers d’artistes dans l’ouest de Paris ! Les touches Art déco et Art nouveau rapidement tombées en désuétude nous reliaient, Villa Alésia, aux années 1900.Certaines façades étaient ornées de grappes de raisins, d’autres portaient des motifs floraux, c’était audacieux, d’une élégance intemporelle. Plus au sud, les abords du parc Montsouris regorgeaient de trésors.
Le quartier de Montparnasse avait connu dans les années 1970 une profonde métamorphose liée à l’évolution des emplois. Nous nous étions attardées place de Catalogne tentant de décrypter l’architecture de Ricardo Bofill. Il y avait de la recherche, des rappels des styles antiques. Le jardin Atlantique toujours aussi méconnu surplombait la gare, appuyé sur des arceaux. Il était agréable d’y circuler, l’on pouvait s’asseoir dans les recoins, partout mobilier et plantes avaient un air de bord de mer. Toute proche, la tour dominait. Elle attendait latransfiguration promise.
Nos pas nous conduisirent un après-midi Place Saint-Sulpice, l’une des places les plus réputées de Paris désertée par les touristes en cette période de pandémie. L’on pensait au récit de Georges Pérec ,le Café de la Mairie où il s’installa pour écrire, était fermé, les mêmes lignes de bus qu’en 1974 desservaient encore la place . La façade de l’église est imposante, l’on dirait l’entrée d’un théâtre ou d’un opéra. Les fresques de Delacroix, restaurées récemment, éclairent la chapelle des Saints-Anges à droite de l’entrée. Le musée-atelier de l’artiste donne sur une petite place ombragée l’été, toute proche de Saint-Sulpice.
Passionnées par les fleurs, celles du printemps sont si belles, nous marquions toujours une pause chez les fleuristes. Il y eut les jonquilles, narcisses et primevères, puis les mimosas et les pensées. Angle Quinet-Raspail, les oliviers rivalisaient avec les agrumiers en bac, c’était un foisonnement de couleurs sur le trottoir, bougainvillées, hortensias et rhododendrons prenaient part à l’explosion printanière. Thuytien était tentée, était-ce raisonnable ? Elle finissait par renoncer, faute de place. Je me demandais si dans mon jardin du bord de mer les arums étaient en fleurs. J’aimais tant ces cornets blancs, j’en avais peint.
L’on parlait beaucoup de la Petite Ceinture, la voie ferroviaire construite autour de Paris dans les années 1850. On l’ouvrait au public par tronçons. Nous empruntâmes, la voie verte du 14ème, celle qui mène de Didot à la porte d’Orléans, un havre de paix, laissé à l’état naturel, où la végétation se déploie sans contrainte, où les oiseaux se grisent, en contrebas des immeubles et des passages. L’on imaginait les travailleurs de jadis, certains au regard terne, massés dans les trains qui faisaient le tour de Paris, il restait çà et là des guérites. Les promeneurs emmitouflés marchaient avec prudence entre les rails. Au niveau de la sortie, un graffeur ravivait, une bombe de peinture à la main, un dessin figuratif sur le béton. Il avait l’air d’aimer les bleus. Le poinçon était fermé. Ancienne gare datant du dix-neuvième siècle, il avait été transformé en restaurant. Rouvrirait-il à la fin de la pandémie ? L’on voyait des panonceaux « à vendre » accrochés aux baies des brasseries, l’on plaignait tous ces commerçants victimes de la crise sanitaire. Avenue du Général Leclerc, nous retrouvâmes la vie grouillante, des boutiques qui s’arrangeaient pour déroger aux restrictions. Lidl avait ouvert un supermarché,avenue du Maine, peu de temps après un pâtissier talentueux s’était installé à côté. Ses créations racontaient des histoires, j’avais un faible pour le « Fantasia » en forme de manège. Thuytien aimait s’attabler avec ses amies au Wonderland.Nous étions au printemps 2021 et nous rêvions de reprendrebientôt les rituels, ces petits riens qui avaient fait notre quotidien .
Fanny Celsiana 12-04-2021
1
C’était la période de Pâques, le temps était frais mais beau.L’on s’en contentait, le virus continuait à faire des ravages, les marcheurs étaient nombreux, l’on était bien heureux d’aller et venir dans les rues de Paris même si l’espoir de vivre normalement dès l’été s’amenuisait. Nous aimions partir tôt. Thuy Tien me rejoignit rue Raymond Losserand. La rue porte le nom d’un grand Résistant arrêté en 1942 puis fusillé, nous croisions l’Histoire à chaque fois que nous déambulions ainsidans les rues de Paris. La rue d’Alésia toute proche, grouillaitd’une population venue d’ailleurs, des femmes et des hommesremplis d’espérance quand ils avaient traversé les mers. Sous le pont de Vouillé, des marginaux dormaient dans des sacs de couchage, leurs affaires hétéroclites jonchaient le trottoir.Cette scène me mit mal à l’aise. Ainsi donc les pontsabritaient-ils des invisibles pris en tenailles entre des quartiers riants. Nous parcourûmes la Villa Santos-Dumont, une oasis de charme dans le 15éme arrondissement. Plus loin, le marché aux livres anciens était ouvert, j’en avais secrètement l’espoir mais n’en avais touché mot à Thuytien, collectionneurs et promeneurs se coudoyaient, les bouquinistes se réjouissaient de ventes qui allaient au-delà de leurs espérances. Cette découverte enthousiasma Thuytien, ce lieu plairait à sa fille, elle en était certaine. Des travaux importants défiguraient le parc Georges Brassens, nous peinâmes à y entrevoir le printemps. D’incessants chantiers très discutables meurtrissaient ainsi Paris, la vie du piéton y était hasardeuse. Nous fîmes la queue devant la boulangerie Poilâne, une boutique Belle Epoque raffinée, au bon pain de campagne d’antan. Etait-ce par réconfort ou par fantaisie ? Souvent, nous faisions ainsi de menus achats avant de nous séparer.
Ces balades nous revigoraient, aiguisaient notre sensibilité. Notre exploration nous livrait au détour d’une butte, des villages comme celui de la Butte-aux-Cailles aux très nombreux petits commerces, où l’on devinait des liens forts entre les habitants, des placettes avec leur fontaine publique, nous eûmes la surprise de rencontrer place Verlaine, un Parisien du 20ème venu à vélib remplir ses bouteilles d’eau, une eau non calcaire, une bonne eau, jaillie des profondeurs d’un puits artésien, nous précisa-t-il. Plus loin, c’était encore la campagne dans un lotissement des années 1920, où logeaient alors les ouvriers employés dans les fabriques proches, le nom fleuri donné à chaque rue ajoutait au charme et l’on allait de la rue des orchidées à celle des iris en passant par les glycines, c’était un ravissement simple. Dans cette partie du 13èmearrondissement à l’histoire très chargée, il faut marcher, c’est en arpentant que nous découvrîmes la Petite Alsace, un enclos tout à fait anachronique de maisons à colombages. A mesure que nous descendions la rue Vergniaud, la vie citadine reprenait, explosait sur le boulevard Auguste Blanqui où les larges voies de circulation automobile sont séparées par un vaste terre- plein central que surplombe la ligne 6 du métro,aérien, à cet endroit. Nous nous frayâmes un chemin entre les pistes cyclables et les voitures. C’était un fourmillement d’activités, une boutique éco-responsable au nom curieux « Pépins et trognons » venait d’ouvrir, l’on y trouvait de tout pour la cuisine, un peu plus haut, direction Place Denfert Rochereau, un fleuriste avait installé une vente de bouquets par automate. Le bus 64 raccordait avec bonheur le 13ème au 14ème.
Nous parcourions chaque fois une dizaine de kilomètres, souvent en dehors des sentiers battus. Nous aimions nous mesurer à la distance, le confinement avait cela de bon.Marcher c’est éprouver son courage, les mots de Sylvain Tesson m’accompagnaient. La marche nous rendait plus libres. Nous scrutions les façades, les plaques qui racontaient Paris des années folles dans le quartier de Montparnasse. Là, il y avait eu des guinguettes, ici avaient vécu Modigliani, Kiki, Man Ray, plus loin Aragon et Elsa Triolet. A l’écart et très proche à la fois des grandes rues, l’on dénichait les trésors des Villas. Que d’ateliers d’artistes dans l’ouest de Paris ! Les touches Art déco et Art nouveau rapidement tombées en désuétude nous reliaient, Villa Alésia, aux années 1900.Certaines façades étaient ornées de grappes de raisins, d’autres portaient des motifs floraux, c’était audacieux, d’une élégance intemporelle. Plus au sud, les abords du parc Montsouris regorgeaient de trésors.
Le quartier de Montparnasse avait connu dans les années 1970 une profonde métamorphose liée à l’évolution des emplois. Nous nous étions attardées place de Catalogne tentant de décrypter l’architecture de Ricardo Bofill. Il y avait de la recherche, des rappels des styles antiques. Le jardin Atlantique toujours aussi méconnu surplombait la gare, appuyé sur des arceaux. Il était agréable d’y circuler, l’on pouvait s’asseoir dans les recoins, partout mobilier et plantes avaient un air de bord de mer. Toute proche, la tour dominait. Elle attendait latransfiguration promise.
Nos pas nous conduisirent un après-midi Place Saint-Sulpice, l’une des places les plus réputées de Paris désertée par les touristes en cette période de pandémie. L’on pensait au récit de Georges Pérec ,le Café de la Mairie où il s’installa pour écrire, était fermé, les mêmes lignes de bus qu’en 1974 desservaient encore la place . La façade de l’église est imposante, l’on dirait l’entrée d’un théâtre ou d’un opéra. Les fresques de Delacroix, restaurées récemment, éclairent la chapelle des Saints-Anges à droite de l’entrée. Le musée-atelier de l’artiste donne sur une petite place ombragée l’été, toute proche de Saint-Sulpice.
Passionnées par les fleurs, celles du printemps sont si belles, nous marquions toujours une pause chez les fleuristes. Il y eut les jonquilles, narcisses et primevères, puis les mimosas et les pensées. Angle Quinet-Raspail, les oliviers rivalisaient avec les agrumiers en bac, c’était un foisonnement de couleurs sur le trottoir, bougainvillées, hortensias et rhododendrons prenaient part à l’explosion printanière. Thuytien était tentée, était-ce raisonnable ? Elle finissait par renoncer, faute de place. Je me demandais si dans mon jardin du bord de mer les arums étaient en fleurs. J’aimais tant ces cornets blancs, j’en avais peint.
L’on parlait beaucoup de la Petite Ceinture, la voie ferroviaire construite autour de Paris dans les années 1850. On l’ouvrait au public par tronçons. Nous empruntâmes, la voie verte du 14ème, celle qui mène de Didot à la porte d’Orléans, un havre de paix, laissé à l’état naturel, où la végétation se déploie sans contrainte, où les oiseaux se grisent, en contrebas des immeubles et des passages. L’on imaginait les travailleurs de jadis, certains au regard terne, massés dans les trains qui faisaient le tour de Paris, il restait çà et là des guérites. Les promeneurs emmitouflés marchaient avec prudence entre les rails. Au niveau de la sortie, un graffeur ravivait, une bombe de peinture à la main, un dessin figuratif sur le béton. Il avait l’air d’aimer les bleus. Le poinçon était fermé. Ancienne gare datant du dix-neuvième siècle, il avait été transformé en restaurant. Rouvrirait-il à la fin de la pandémie ? L’on voyait des panonceaux « à vendre » accrochés aux baies des brasseries, l’on plaignait tous ces commerçants victimes de la crise sanitaire. Avenue du Général Leclerc, nous retrouvâmes la vie grouillante, des boutiques qui s’arrangeaient pour déroger aux restrictions. Lidl avait ouvert un supermarché,avenue du Maine, peu de temps après un pâtissier talentueux s’était installé à côté. Ses créations racontaient des histoires, j’avais un faible pour le « Fantasia » en forme de manège. Thuytien aimait s’attabler avec ses amies au Wonderland.Nous étions au printemps 2021 et nous rêvions de reprendrebientôt les rituels, ces petits riens qui avaient fait notre quotidien .
Fanny Celsiana 12-04-2021